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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


cousin trois lettres suppliantes : « On m’affirme que tu as été me livrer, me vendre…[1] », courut chez Du Paty[2]. Christian, troublé, de nouveau perplexe, ne répondit d’abord ni à l’escroc ni au juge. Mais Bertulus tint bon ; il adressa à Christian une assignation à comparaître, par ministère d’huissier, et, cette fois, il fallait déférer à la justice[3].

D’autres incidents, s’il les avait connus, eussent augmenté encore les craintes du bandit. Mathieu s’était procuré de l’écriture de la fille Pays[4], et Bertulus, l’ayant comparée à celle du télégramme Speranza, avait eu aussitôt la certitude que la maîtresse d’Esterhazy en était l’auteur, ainsi que Christian l’avait raconté à Labori et à Trarieux. La concierge de Marguerite déposa qu’Esterhazy l’avait envoyée à Montmartre pour vérifier le nom de la rue où la Dame voilée lui avait donné rendez-vous[5]. Enfin, Bertulus eût communication de la fausse lettre du marquis de Beauval, qu’Esterhazy aurait fait remettre à Rothschild pour l’apitoyer sur son sort[6].

Christian, au débotté, se rendit chez Bertulus, et, soit qu’il eût peur du forban qui l’avait dépouillé, soit qu’il en eût pitié, il commença par déclarer qu’il regrettait d’avoir cédé à un mouvement de colère et agi « sur des conseils intéressés » ; au surplus, « il ne savait rien

  1. Christian versa ces trois lettres à la procédure ; Bertulus les considéra comme l’aveu d’Esterhazy. (Ordonnance du 28 juillet 1898.)
  2. Dép. à Londres, 89.
  3. Christian, Mémoire, 18.
  4. Mathieu avait prié l’un de ses amis d’envoyer des fleurs à la maîtresse d’Esterhazy avec une demande de rendez-vous ; Marguerite répondit qu’avant de s’engager, elle voulait connaître son correspondant, (Souvenirs de Mathieu Dreyfus.)
  5. Cass., II, 277, femme Choinet.
  6. Voir t. II, 93 et 111.