Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
390
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

VIII

Le sursis, en effet, était dans les attributions du pouvoir exécutif. Acte de pure administration de la justice, puisque le conseil de guerre n’a pas encore commencé l’examen de l’affaire[1]. Moyen assuré d’éviter un conflit violent entre la magistrature civile et la magistrature militaire, lancées l’une contre l’autre, comme deux trains engagés en sens inverse sur la même voie. Le tribunal correctionnel, quand Picquart et Leblois lui ont été déférés, s’est arrêté, ajourné jusqu’au verdict de la Cour suprême.

Il se produisit, pendant quelques jours, une immense poussée de l’opinion contre la porte du Cherche-Midi.

Comme à l’époque du procès de Zola, les journaux publièrent des listes de protestation ; et, cette fois, les adhésions arrivaient, non plus par centaines, mais par milliers, soit à l’ordre du jour du comité directeur de la Ligue des Droits, soit à une formule, moins véhémente, pour l’ajournement du conseil de guerre. On put mesurer le chemin parcouru par la « vérité en marche ». Les plus lents à s’émouvoir, les plus circonspects, qui avaient évité jusqu’alors de se compromettre, mais qui tenaient maintenant à pâtir pour la justice, les uns obscurs, les autres illustres, des indifférents et même des adversaires de la veille, s’inscrivirent à côté des combattants du premier jour. Ce fut le second dénombrement de l’armée de la justice[2].

  1. C’est ce que dirent, à la séance du 28 novembre 1898, Millerand et Ribot. Même thèse dans tous les journaux, depuis le Soleil jusqu’à la presse socialiste.
  2. Parmi les protestataires, trente-quatre membres de l’Institut (Sardou, Sully-Prudhomme, Boutmy, Lavisse, Gaston Pâris,