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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Picquart répliqua qu’il y avait songé tout le jour ; puis, très calme, il rédigea la lettre suivante :

Monsieur le Président du Conseil,

Il ne m’a pas été donné jusqu’à présent de pouvoir m’expliquer librement au sujet des documents secrets sur lesquels on a prétendu établir la culpabilité de Dreyfus.

M. le ministre de la Guerre ayant cité à la tribune de la Chambre des députés trois de ces documents, je considère comme un devoir de vous faire connaître que je suis en état d’établir, devant toute juridiction compétente, que les deux pièces qui portent la date de 1894 ne sauraient s’appliquer à Dreyfus et que celle qui porte la date de 1896 a tous les caractères d’un faux.

Il apparaîtra alors manifestement que la bonne foi de M. le ministre de la Guerre a été surprise et qu’il en a été de même, d’ailleurs, pour tous ceux qui ont cru à la valeur des deux premiers documents et à l’authenticité du dernier.

Quelle réponse lui serait faite ? Une honorable invitation à prouver son dire — ou des poursuites, sous un prétexte quelconque, puis, par ordre, des mois ou des années de prison[1] ? Nous repoussions l’idée, mais elle nous obsédait, que Picquart, en offrant à Brisson d’accepter la discussion ouverte par Cavaignac, appelait sur lui leur colère et leur vengeance.

Comme il était très soucieux de la forme, il dit qu’il attendrait au lendemain pour envoyer sa lettre à Brisson

  1. Picquart écrira plus tard : « Je n’ai pas pensé faire un grand exploit… Mal m’en a pris d’ailleurs, car M. Brisson s’est empressé de me faire fourrer en prison. » (Aurore du 10 avril 1903.)