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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


thentique, Arthur Meyer, publia ce commentaire : « Les juges de la Cour de cassation ont entrepris, par haine du sabre, comme ils disent, de déconsidérer l’armée, d’affaiblir la discipline, d’enlever aux hommes la confiance dans leurs chefs, de décourager les dévouements les plus tenaces[1]. »

Manau, dans son réquisitoire d’octobre, avait proposé que « la peine de Dreyfus fût suspendue ». cette décision, irréprochable en droit, eût centuplé la portée de l’arrêt. Pour beaucoup, Dreyfus, au bagne, restait coupable. Libre, rentré en France, il devenait, du coup, innocent. Il n’était que juste de l’appeler lui-même devant la Cour. Qui mieux que lui eût répondu à ses accusateurs ? Il était sans intérêt que sa présence à Paris fût pour le Gouvernement un embarras. Il n’aurait pas été plus écharpé, comme Déroulède et Rochefort l’en menaçaient, qu’il ne le fut plus tard. La police l’eût gardé, comme elle gardait Lœw, Manau, Bard, tous les conseillers dont Drumont avait publié les adresses pour les désigner à la canaille[2]. La Chambre criminelle n’eût pas été plus vilipendée pour avoir fait mettre Dreyfus en liberté, qu’elle ne le fût pour avoir ordonné de l’avertir.

Ce fut Deniel qui remit la dépêche officielle[3] à Dreyfus (16 novembre), « sans lui adresser la parole »[4]. Un sourire éclaira cette triste figure. Cela fit mal au

  1. Gaulois du 16 novembre 1898.
  2. Libre Parole du 28 octobre : « Quelles précieuses vies s’abritent à ces adresses mystérieuses ? »
  3. « Cayenne, 16 novembre. — Gouverneur à déporté Dreyfus, par commandant supérieur des îles du Salut : Vous informe que Chambre criminelle de la Cour de cassation a déclaré recevable en la forme demande en Revision de votre jugement et décidé que vous seriez avisé de cet arrêt et invité à produire vos moyens en défense. »
  4. Rapport.