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CAVAIGNAC MINISTRE


des articles de journaux : un acte dont l’écho leur arriverait, qui les forcerait à se retourner.

Le lendemain du discours de Cavaignac, Picquart vint, dans la soirée, chez Labori ; j’y étais, ainsi que Demange et Trarieux[1].

Demange avait décidé d’adresser au garde des Sceaux une protestation ; il nous en donna lecture. Il n’a connu, en 1894, le conseil de guerre n’a pu connaître légalement que le bordereau ; il n’a eu communication d’aucune des pièces, datées de mars et d’avril 1894, que Cavaignac a portées à la tribune ; il a reçu de Dreyfus, le 31 décembre 1894, le récit circonstancié de l’extraordinaire visite de Du Paty, ce même jour, quand l’envoyé de Mercier chercha en vain à obtenir du condamné l’aveu, au moins, de quelque tentative imprudente d’amorçage ; Dreyfus écrivit au ministre, jurant, une fois de plus, qu’il était innocent. La forfaiture éclatait à nouveau ; toute la légende des aveux s’effondrait[2].

Le vieil avocat, depuis qu’il avait accepté de défendre Dreyfus, en avait été durement puni. La haine des jésuites s’était acharnée sur ce fervent catholique ; peu à peu sa clientèle l’avait abandonné ; son cabinet devenait désert. Il supportait sans une plainte cette ruine et la dissimulait, d’une constante belle humeur, la conscience en repos.

Un silence se fit quand il eut fini de parler ; une même pensée nous opprimait ; je pris sur moi de l’exprimer ; je dis à Picquart qu’il était seul qualifié pour dénoncer le faux.

  1. 8 juillet 1898.
  2. J’avais écrit le même jour un article qui parut le lendemain dans le Siècle et qui exposait les mêmes arguments. (La nommée Mandrille.) — Sur la visite de Du Paty, voir t. Ier, 481.
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