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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


main de la découverte qu’avait faite Picquart et à la veille d’une inquiétante interpellation. Cette pièce, portée à la tribune par le ministre de la Guerre, parlant au nom du Gouvernement de la République, comment le peuple l’eût-il suspectée ? C’eût été miracle. Il n’y pouvait, n’y devait voir, sans hésitation, que la preuve écrasante de l’infamie de Dreyfus. Mais telle aussi elle parut à des hommes qui avaient fait de l’histoire l’étude de leur vie, ou qui avaient été mêlés aux plus grandes affaires, à des diplomates vieillis sous le harnais et à des critiques de profession, à la moitié de l’Institut ; — ou du moins, aucun de ces mandarins de la politique, des lettres et des sciences n’exprima un doute, ne cria gare, pas plus Vandal que Brunetière, ni le duc de Broglie, ni Sorel.

Furent-ils tous dupes, momentanément imbéciles ? Les écrivains revisionnistes qui, dans la presse, dénonçaient le faux ne leur étaient pas tant supérieurs par l’intelligence ou la culture, comme leur petit parti ne se distinguait pas du reste des Français par des vertus ou des qualités exceptionnelles. Il y avait, dans l’un et dans l’autre camp, des hommes de sens et des sots, de braves gens et des coquins. Seulement, pour les uns, la grande clarté du jour luisait, où toute chose paraît sous son véritable aspect ; et les autres (hors les criminels et leurs associés) marchaient dans la nuit, dans l’ombre menteuse, où chaque arbre devient un fantôme.

Et nulle lumière ne filtrait dans leurs ténèbres, puisque les adversaires de la revision ne lisaient que leur propre presse qui avait fait leur opinion ; des preuves et des arguments qu’amoncelaient les défenseurs de Dreyfus, ils ne savaient rien.

Il fallait donc, de toute nécessité, sinon pour les convaincre, du moins pour les avertir, autre chose que