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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


plaida, vivement, d’une éloquence imagée et pittoresque qui datait un peu[1]. Incapable, ayant près du double de l’âge de Bard, d’imposer silence à sa colère, il s’éleva contre tant de violations de la loi, et s’il ne prononça pas le grand mot : la pitié, il la fit éclater, évoqua l’innocent par la lecture de ses lettres. Comme les sanglots lui montaient à la gorge, le vieillard faisait effort pour les refouler, élevait la voix, cherchait à la rendre rude. Il se flatta d’avoir « les yeux uniquement fixés sur la loi ». Ces yeux mouillés disaient qu’il voyait plus loin, plus haut : la justice complète, celle qui s’achève dans la bonté.

Lui aussi, il approcha très près du centre de l’Affaire, Henry :

Le faussaire a emporté son secret, son secret terrible dans la tombe. Pour employer l’expression de d’Aguesseau, nous écoutons ce silence et nous en sommes très inquiets[2].

Lors du pourvoi de Zola, il a déjà rendu hommage « aux hommes intelligents et honnêtes » qui ont pris la défense de Dreyfus ; il y insiste et proteste de son amour pour l’armée : « On veut que nous soyons des insulteurs de nos enfants, de nos amis… Parmi mes proches, beaucoup ont payé leur dette avec leur sang. Il en est qui dorment à Mars-la-Tour. »

Après Bard, Manau avait répété que la Cour voulait la lumière pour tous les hommes de bonne foi : « les autres

  1. Revision, 181, Manau : « Ô justice immanente des événements et des choses ! » 199 ; « Ô saintes lois protectrices des accusés et même des condamnés qu’a-t-on fait de vous ? » 204 ; « Laissez donc passer la justice de la République : qu’elle traverse les mers ! »
  2. Ibid., 159, 161, Manau.