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CAVAIGNAC MINISTRE


rallié les représentants les plus autorisés de tous les partis. » Il savait à quoi s’en tenir, suivait les gens de l’État-Major, comme l’amateur d’émotions suit le dompteur de fauves, dans l’attente du jour où il le verra dévorer.

Scheurer, de son lit de douleur, affirma que les arguments de Cavaignac ne changeaient rien à sa conviction[1].

Cependant, sauf le bloc de lecteurs qui voyaient par les yeux des défenseurs attitrés de Dreyfus ; et quelques consciences troublées, mais qui cachaient leur crainte, tout le reste, l’immense majorité de la nation, s’émerveilla de la redoutable preuve. Bourgeois et plébéiens, ouvriers et paysans, l’armée et le clergé, quand ils virent le faux affiché solennellement sur les murs des 36.000 communes de France, le tinrent pour le plus décisif des arguments : « Je dirai que jamais j’avais de relations avec ce juif. C’est entendu. Si on vous demande, dites comme ça, car il faut pas qu’on sache jamais personne ce qui est arrivé avec lui. » Que voulait-on de plus ? Dreyfus, les amis du traître, avaient leur compte.

L’étonnant — est-il besoin de le dire ? — c’eût été que cette masse, ignorante ou hallucinée, se fût étonnée que l’attaché militaire, qui se rencontrait tous les jours avec son collègue, lui adressa, par la poste, de pareilles confidences, et d’un tel style, et à un tel moment, si opportun pour l’État-Major en détresse, au lende-

  1. Lettre au Mémorial des Vosges : « Il serait indigne d’un vieux républicain comme moi, en présence d’une tâche que sa conscience lui a imposée, de reculer parce qu’une partie de l’opinion publique, momentanément égarée, s’est dressée devant lui. Je reste aujourd’hui ce que j’étais hier, le défenseur de l’innocence opprimée, car ma conviction n’a été affaiblie en rien par les adversaires de la cause que je défends, qu’ils soient ou non des adversaires officiels. »