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BRISSON


Ici, comme ailleurs, il ne poussa pas assez avant ; mais le pouvait-il ? Bien plus, tout certain qu’il fût déjà de l’innocence de Dreyfus, il se refusait à la proclamer, tant qu’il n’aurait pas eu connaissance des pièces du dossier secret. « Quelle est la nature de ces documents ? il faut que vous le sachiez. » Donc « l’Affaire est fort loin d’être en état » ; l’enquête est nécessaire.

Mettre la vérité en évidence, c’est la mission que vous impose la loi ; vous l’accomplirez. Combien l’œuvre sera délicate, il est superflu de le dire. Mais que ce puisse être un motif à vous dérober, personne ne l’admettra et vous l’admettrez moins que personne. Il y a eu assez de défaillances. Dégagés de toute autre considération que celle de la Justice, inaccessibles à toute suggestion, insensibles aux menaces comme aux outrages, vous êtes en présence d’un grand devoir. Vous appréciez ce qu’il exige et vous ferez ce que votre conscience vous dictera.

Ces nobles paroles, si simples, parmi les plus belles qu’aucun magistrat ait prononcées, furent écoutées dans un grand silence. La salle d’audience avait été gardée des antijuifs qui s’en allèrent manifester dans une autre partie du palais[1], au tribunal correctionnel, où comparaissait Guérin, On n’en sentait pas moins l’orage. Il pesait lourdement sur Paris. De nouveau, on parlait de la Saint-Barthélémy, des journées de Septembre.

Le lendemain, Jean Pierre Manau prononça son réquisitoire Le cœur y débordait. Il ne raconta pas, mais

    défendre de concevoir de multiples et graves inquiétudes. » L’erreur fut relevée aussitôt par Cavaignac (lettre du 30 octobre 1898 à Lœw) ; il affirma que le bordereau était authentique et l’agent « parfaitement connu ».

  1. Drumont, Firmin Faure, Lasies, Millevoye, avec une escorte de cent et quelques amis. (Libre Parole du 28 octobre 1898.)