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BRISSON


coups de force et d’arbitraire… L’heure est venue de nous prononcer avec courage, de débarrasser le pays de l’oppression la plus extraordinaire, dussions-nous — c’est par là que je termine — quel que soit notre grand respect pour l’armée, éclabousser par nos votes ce général Chanoine…

Chanoine : « Je demande la parole. »

Déroulède, sans achever sa phrase, lui céda la tribune.

La gauche, quand elle vit Chanoine s’élancer, le salua par de longs applaudissements. Il s’était dressé sous l’injure, précipité avec tant de fougue, qu’on eût dit que, ne se possédant plus, il voulait frapper Déroulède[1]. Delcassé, à qui cette pensée était venue, chercha à le retenir, et, comme Montebello ricanait à un banc voisin, Bourgeois s’indigna : « Vous allez entendre un soldat républicain. »

Chanoine : « Il est temps que je parle. » Aussitôt, il fut manifeste qu’il avait appris par cœur, qu’il récitait :

Mes camarades, les chefs de l’armée m’ont approuvé quand j’ai accepté le portefeuille de la Guerre ; je me suis exposé alors, et je le savais, à des soupçons et à une impopularité immérités ; je m’y suis résigné par devoir et par dévouement à l’armée, à mon pays, à la République… On parlait tout à l’heure de cette affaire néfaste devant laquelle mes prédécesseurs se sont retirés ; j’ai le droit d’avoir une opinion : elle est la même que la leur. Aujourd’hui que le Parlement est réuni, je puis m’adresser à vous, représentants de la nation, et vous dire : « Je remets entre vos mains le dépôt qui m’était confié des intérêts et de l’honneur de l’armée. » Je donne ici, à cette tribune, ma démission de ministre de la Guerre.

  1. André Deniel (A. Lebon), Année politique, 335.