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BRISSON

Brisson avait convoqué les Chambres trop tôt. Il aurait dû les réunir seulement au lendemain de l’arrêt de la Cour de cassation ; la première audience était indiquée pour le 27 : il se fût précipité avec l’arrêt à la main.

Une autre faute fut de laisser sans démenti l’obstinée rumeur d’un complot militaire, de ne pas prendre parti. Aux uns il disaient que c’était des sottises, aux autres que Brisson veillait.

Au fond, il n’était pas rassuré, hanté par les souvenirs de 1851 : « La sentinelle invisible… Représentants du peuple, dormez en paix ! »

D’autres maladresses suivirent, on eût dit à plaisir. C’était le moment de rassurer les intérêts : Peytral annonça un projet d’impôt sur le revenu ; de rapprocher les républicains devant le péril commun : Brisson fit paraître le mouvement administratif qu’il préparait depuis trois mois, révoqua trois préfets[1]. Les modérés se virent menacés dans leurs « fiefs » où l’administration depuis longtemps n’était plus que la servante de la pire des politiques, l’électorale.

Avec cela, on se sentait si peu dirigé que les socialistes constituèrent un « comité de vigilance », gouvernement dans le Gouvernement, à côté, au-dessus du Gouvernement. Les représentants de toutes les fractions du parti, momentanément réconciliés, y entrèrent : Guesde, Jaurès, Briand, Millerand, Fournière, Viviani, Allemane[2].

À peine formé, ce comité, selon la vieille recette révolutionnaire, décida de faire de l’ordre avec du désordre, de tenir tous les soirs des meetings, de convoquer le

  1. Rivaud, préfet du Rhône ; Laurenceau, préfet du Nord ; Alapetite, préfet de la Creuse. (18 octobre 1898.)
  2. 16 octobre 1898.