nation ; Dupré, malade ; Chambaraud, qui avait rapporté le pourvoi de Zola ; Sevestre, notoirement hostile à la Revision ; Forichon, ami personnel de Brisson, mais déjà désigné pour la première présidence de la Cour d’appel et qui la préférait à l’honneur de siéger dans la plus grande affaire du siècle ; le vieil Accarias et Bard, jeune encore, juriste vigoureux, homme de logique et d’ardeur, à l’esprit net et droit, républicain éprouvé[1]. Lœw se décida pour Bard, bien qu’il eût déjà rapporté les pourvois de Picquart, mais pour cette raison « qu’il était célibataire, dès lors moins accessible, dans une femme ou dans des enfants, aux invectives et aux menaces de mort d’une certaine presse »[2]. Et Bard accepta, pour cette raison même.
Le sentiment profond du devoir, le courage simple, la volonté scrupuleuse d’être aveugle et sourd à ce qui n’était pas la justice, le parfait désintéressement de ces magistrats sont un spectacle qui ne s’était pas encore vu dans cette histoire. Cependant il n’avait rien d’inattendu ni pour les partisans ni pour les adversaires de la Revision, les uns qui n’avaient jamais réclamé qu’un examen impartial de l’Affaire, les autres qui n’avaient pas d’autre crainte. Dès qu’on sut le rapport aux mains de Bard, la confiance des uns, la rage des autres éclatèrent en même temps. Sauf quelques collègues, avec qui il s’en était familièrement entretenu, personne ne connaissait à quelle hypothèse, d’ailleurs étrange, Bard s’était arrêté avant de recevoir le dossier ; s’il croyait le bordereau d’Esterhazy, il avait imaginé que Dreyfus n’était pas étranger à la