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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


murmura : « Le ministre aurait mieux fait de ne pas, lire les lettres[1]. »

Mais, le lendemain, par un violent effort sur lui-même, il reprit son assurance et, comme il causait avec le diplomate Gavary, suspect d’incliner à la Revision il lui dit, dans son langage militaire : « Le ministre vous embouche un coin. » Puis, s’échauffant : « On m’a dit de corser les dossiers. Je les ai corsés. Des preuves contre Dreyfus, j’en ai plein mes armoires. « Et il les montrait d’un geste circulaire, dans son cabinet du service des Renseignements, dans sa fabrique.

IV

Rien n’égala la joie des principaux défenseurs de Dreyfus quand ils connurent le discours de Cavaignac qui devait les consterner. Sauf l’innocence de Dreyfus, il leur concédait tout : que l’élite intellectuelle, qui a dénoncé l’erreur judiciaire, est de bonne foi ; que la raison d’État ne saurait prévaloir contre la justice ; que l’argument empoisonné de l’étranger est le plus méprisable des prétextes ; que la France a le droit de régler cette affaire, dans un sens ou dans un autre, sans avoir à redouter la guerre ; que la prétendue nécessité du huis-clos est un mensonge et une lâcheté ; que la question est strictement judiciaire, nullement politique ; que la chose jugée n’est qu’un formalisme légal, sans rien d’intangible ; que chacun a le droit, à l’exemple du ministre lui-même, de procéder à l’examen des faits et des

  1. Rennes, I, 558, Gonse.