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BRISSON


considérée « comme un acte non amical ». Kitchener, à la tête de forces supérieures, n’avait qu’à avancer pour jeter Marchand au Nil[1].

Delcassé, si l’Angleterre lui avait demandé l’évacuation de Fachoda à titre de concession, y eût consenti tout de suite, effrayé qu’il était à juste titre des conséquences de son grand dessein. D’autre part, l’Angleterre ne pouvait pas poser ainsi la question, sans détruire elle-même le droit qu’elle s’attribuait. Les négociations pouvaient se terminer, mais non commencer ainsi. Leur phase aiguë se prolongea du 17 septembre au 12 octobre, Salisbury et son ambassadeur pressants et même péremptoires, Delcassé et le baron de Courcel plus souples, avec la loyauté, qui se trouva habile, de ne pas cacher leur désir d’entente, mais fermes sur l’honneur national. Le 12, Courcel proposa d’abandonner Fachoda en échange de la vallée du Bahr-el-Ghazal, « débouché nécessaire » de nos territoires congolais sur le grand fleuve. L’Anglais demanda à réfléchir.

En attendant, l’opinion anglaise avait éclaté, impérieuse et brutale à son ordinaire, pendant qu’en France, Marchand, inconnu la veille, passait héros et que Fachoda devenait un nouveau Strasbourg. La Russie dit qu’elle se conformerait au pacte d’alliance, que sa mobilisation serait longue, — conseilla de céder.

L’Europe regarda, hostile, railleuse[2].

  1. Dépêche du baron de Courcel du 12 octobre 1896 : « Si lord Salisbury voulait dire que le Sirdar disposait de forces supérieures à celle du commandant Marchand et pouvait l’obliger à se retirer devant lui jusqu’où il lui conviendrait de le pousser, je ne contesterais pas une assertion aussi évidente, mais alors il fallait quitter le terrain de la diplomatie. Lord Salisbury se défendit d’avoir exprimé une semblable pensée. »
  2. Chéradame, loc. cit., 10 : « Je le dis avec douleur, mais avec vérité : depuis quelques mois, on ne croit plus à la France, à sa mission dans le monde, on ne voit que ses contradictions. »