Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
300
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


le fallait, d’un coup de force et d’une guerre civile, — c’étaient le duc d’Orléans et Déroulède.

Cet ancien associé de Boulanger, qu’il se targuait d’avoir « suscité » et qu’il avait abandonné dans le malheur, était, dans toute la force du mot, un prétendant. Il n’avait pris aux Bonaparte la doctrine plébiscitaire que dans la pensée d’en bénéficier lui-même, se disait républicain, à leur exemple, depuis la défaite des partis monarchiques au 16 Mai et se réclamait de Gambetta, qu’il avait agacé[1]. Il se proposait ouvertement d’établir « la République du peuple » par un coup de force militaire et, à l’époque où nous sommes arrivés, avait composé définitivement son personnage.

Il avait réussi à y marier, à la façon des comédiens, les contrastes les plus étonnés de se trouver ensemble, la brusquerie des soldats de métier, les manières du grand monde qu’il avait étudiées au théâtre, une facilité populacière, avec quelque hauteur qui en faisait sentir le prix, l’allure d’un Don Quichotte, mais qui n’était fol que s’il avait intérêt à le paraître, et toutes les roueries de l’apprenti basochien, de l’homme de lettres réclamier et de l’intrigant politique qu’il avait été successivement. Sa rhétorique, faite de lieux communs patriotiques, était intarissable, d’une action réelle sur les assemblées et sur les foules, qu’il dominait de sa grande taille, de ses grands bras gesticulants, qui sortaient d’une immense redingote démodée, la voix criarde et

  1. Haute Cour, 18 novembre 1899 ; Cour d’Assises de la Seine, Instr. Pasques, 28 février 1899. Déroulède : « Gambetta et Boulanger morts, je me suis trouvé seul pour réaliser mon programme. » Le 2 mars 1899 : « Combien de ligueurs ont dit au général Boulanger : « Nous ne sommes avec vous que parce que Déroulède nous a conduits à vous. » — Déroulède n’avait pas revu Gambetta depuis la guerre ; ce fut moi qui le lui représentai, le 24 juin 1878, au banquet de Hoche à Versailles.