Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/303

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
299
BRISSON


pas objecté à la revision, ni la paix menacée, puisque le ministre des Affaires étrangères avait appuyé Brisson. La lutte sans merci, à coup d’articles et de discours, eût dû cesser. Elle continua,

La reprise vint des royalistes, des nationalistes, enragés que tous leurs coups eussent raté, que Brisson ne se fût laissé arrêter ni par la démission de deux ministres de la Guerre, ni par les sophismes des juristes, ni par les menaces de la rue, qu’il eût entraîné ses collègues, que la rente montait[1], que le monde entier applaudissait, même la presse russe[2].

D’autre part, Félix Faure restait hostile, la majorité des officiers l’était redevenue, l’antisémitisme se refusait à mourir, les moines et l’Église à renoncer à la domination, tous les cœurs lâches à convenir de leur erreur ; enfin, il y avait sur le peuple lui-même un tel entassement de mensonges, une croûte d’une telle épaisseur, que de plus timorés n’eussent pas hésité à bâtir dessus.

L’entreprise, avec un seul chef, eût été beaucoup plus difficile, impossible peut-être ; la coalition se fût formée contre lui ; il y eût, au contraire, plusieurs chefs, chacun avec sa pensée de derrière la tête, mais tous également intéressés à empêcher la justice, les uns pour se sauver, — c’étaient les généraux compromis, surtout Mercier, — les autres pour s’emparer du pouvoir à la faveur de la confusion des esprits, au prix, s’il

  1. De vingt centimes, de 102,30 à 102,50, le 26 septembre, dès qu’on sut la Revision décidée.
  2. Libre Parole du 28 septembre 1898 : « La Novoje Vremia est d’avis que refuser la Revision aurait été pour le cabinet Brisson équivalent à un suicide. Elle emboîte le pas aux ennemis de la France. » — André Chéradame, l’Affaire Dreyfus et l’Étranger, 9 : « Toute la Russie intelligente voyait en Dreyfus la victime d’une injustice méconnue. » L’auteur s’en indigne.