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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


enfants par la main et n’aille se jeter aux pieds de l’Empereur d’Allemagne en lui demandant justice[1] ? » Puis, de nouveau, il s’était enfermé dans la consigne de son silence, espérant toujours que l’on reconnaîtrait enfin, rien qu’à son attitude, qu’il n’était pas un traître, et les simples gardiens, en effet, en furent persuadés. Mais, maintenant, il n’en pouvait plus, dans cet abandon de tout, dans ce mutisme cruel des chefs qu’il avait implorés. Il adressa, en août, une longue lettre à sa femme, avec des conseils pour l’éducation des enfants : « Point de châtiments corporels… Une âme menée par la crainte en reste toujours plus faible… C’est par l’influence morale qu’il faut agir… » ; et toujours le même appel inlassable : « Au-dessus de tout plane le culte de l’honneur[2] ! » Puis, le mois suivant, quand revint l’époque du courrier, il essaya « d’un artifice suprême ». Il écrivit au gouverneur qu’une fois encore, il allait s’adresser à Félix Faure, à Boisdeffre, « pour leur léguer sa mémoire à venger, le nom de sa femme et de ses enfants ». (L’infortuné, comme s’il était déjà mort, ne parle plus de lui-même.) Mais jusqu’à ce qu’il ait reçu la réponse à ses demandes de revision, il n’écrira même plus à sa femme. C’est la fin. (24 septembre.)

À Paris, les heures qui suivirent le conseil du 25 septembre, la journée du dimanche, propice aux manifestations, se passèrent dans la fièvre. Les revisionnistes organisèrent quatre grandes réunions. D’autre part, Guérin mobilisa ses assommeurs[3], et Déroulède, qui

  1. Rapport de Deniel, du 25 novembre 1898.
  2. 7 août 1898 : le 21, « avant le départ du courrier » : « Plus le destin est cruel, plus l’âme s’est élevée pour le dominer… »
  3. Haute cour de Justice, Affaire Buffet, Déroulède, Guérin et autres inculpés de complot, rapport Hennion (commissaire spécial attaché à la direction de la Sûreté), pièce n° 149 du dos-