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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


que ce blâme atténué ne fût pas rendu public, ce qui le dispensa de le transmettre, ou il dit à Zurlinden ce qu’il voulut.

Le jour même où Crépon, Petit et Lepelletier avaient conclu contre la Revision, là-bas, à l’île du Diable, Dreyfus écrivit au gouverneur de la Guyane une lettre désespérée. Il y rappelait que, depuis près de quatre années, presque à chaque courrier depuis le printemps[1], il adressait en vain appels sur appels à Félix Faure et à Boisdeffre. Toute cette dernière année — pendant laquelle la France se déchirait à cause de lui, dans le douloureux accouchement de la vérité, et que, dans l’univers entier, des millions et des millions d’êtres humains pleuraient sur lui, priaient pour lui, s’absorbaient dans sa pensée, que sa réhabilitation morale était déjà de la gloire et que lui seul ignorait ces choses, — ces derniers mois surtout, dans sa misérable case, avaient été atroces. Deniel, qui savait, redoublait de brutalité, de mesquines persécutions. En mars, quelques lettres de sa femme, de janvier, toujours le même espoir dans les mêmes termes vagues. En avril, profond silence[2] ; Henry ou Lebon avait supprimé le courrier de l’époque du procès Zola, des paroles réconfortantes qui eussent fait du bien au malheureux qui s’obstinait à ne pas mourir. Puis quelques lettres en copie, du printemps et du commencement de l’été, des jours sombres après la défaite, quand l’espoir semblait mort, parce qu’il n’y avait qu’avantage à ce que la tristesse des siens s’ajoutât à toutes ses tortures : « Mon cœur est trop gonflé, lui écrivait la pauvre Lucie, j’étouffe de chagrin… » En

  1. Cass., III, 330 et suiv,
  2. Cinq Années, 297.