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BRISSON


seulement consultatif[1], et que l’initiative, en matière de revision, appartient tout entière au Gouvernement. Aussi bien ne s’agit-il pas de proclamer Dreyfus innocent, mais de faire juger par la plus haute juridiction si la requête de sa femme est recevable. Il fit ainsi la Justice toute petite, très humble, mais il le fallait. Et nul autre moyen d’arracher l’Affaire à la politique, d’en finir avec l’agitation. C’était l’intérêt du parti radical, de la République, d’amorcer la justice. Le refus de saisir la Cour de cassation serait le déshonneur de sa vie. Il avait des sanglots dans la voix. Bourgeois et Delcassé lui vinrent en aide ; Chanoine gardait le silence[2]. Deux ministres (Peytral et Viger) étaient absents, les autres hésitaient. Félix Faure chassait à Rambouillet. On s’ajourna au surlendemain.

Au début de la séance, Chanoine avait cyniquement accepté de transmettre à Zurlinden « la pénible surprise du Conseil », au sujet des procédés pour engager les poursuites contre Picquart[3]. Il demanda seulement

  1. D’après les usages parlementaires, le partage des voix équivaut à un refus. Au criminel, la règle générale est, au contraire, que l’avis le plus favorable à l’accusé doit l’emporter : le partage vaut acquittement. À la chambre des requêtes, le partage impose l’admission du pourvoi et non le rejet. (Souvenirs de Brisson, dans le Siècle du 19 juin 1903.) Dans l’affaire Jamet-Léger, la commission s’était pareillement divisée en deux fractions égales, trois contre trois ; le Garde des Sceaux saisit la Cour de cassation, qui prononça l’innocence des deux condamnés.
  2. Cass., I, 50, Chanoine : « Je pensais devoir suivre comme régie de me conformer à ce que pourrait faire le garde des Sceaux. » À Rennes, il dit que l’avis de la commission « fut un des faits qui détermina sa conviction contre Dreyfus ». (I, 243.)
  3. Brisson. (Siècle du 31 août 1903.) — La proposition fut faite par Bourgeois. — Chanoine, de temps à autre, et son chef de cabinet, le général Brunet, tenaient des propos assez vifs contre Mercier et Boisdeffre ; cela contribua à rassurer quelques revisionnistes.