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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


furent inflexibles. Ni la lettre d’Esterhazy : « Que dois-je faire, puisque les experts se refusent à conclure comme vous l’espériez[1] ? », ni les divergences entre les expertises, l’une qui reconnaissait dans l’écriture du bordereau celle de Dreyfus, l’autre qui décidait que Dreyfus avait calqué celle d’Esterhazy, ni même les aveux d’Henry ne leur parurent « des faits nouveaux », « de nature, selon la formule de la loi, à établir l’innocence du condamné ». En effet, « le faux d’Henry, postérieur de deux ans à la décision du conseil de guerre, ne pouvait avoir influé sur cette décision », et « il résultait des procédures de 1894 que le rôle d’Henry, au procès, avait été insignifiant ». Ils firent consigner dans les « attendus » ce truisme et cette contre-vérité. « Par ces motifs, la commission n’est pas d’avis qu’il y ait lieu à revision[2]. »

En fait, divisée par moitié, la commission n’avait émis d’avis ni négatif, ni affirmatif, et la formule qu’elle donnait du partage des voix était inexacte ; mais Sarrien, de nouveau affolé par cette responsabilité directe qu’il fuyait toujours et qui toujours le reprenait, s’empressa de s’abriter derrière ce vote ; il déclara au Conseil que c’était l’équivalent d’un refus et qu’il n’y avait qu’à s’incliner (24 septembre).

Si Brisson avait interprété la loi comme Sarrien, les autres ministres, sauf peut-être Bourgeois, auraient suivi. Par bonheur, sa conscience, son cœur se révoltèrent à l’idée d’enterrer la vérité sous une chicane de droit. Il soutint, avec beaucoup de force, texte et précédents en mains, que l’avis de la commission, quel qu’il fût, était

  1. Scellés Bertulus, n° 1, cote 4. (Voir t. III, 182.)
  2. Cass., II, 128 à 130, décision de la commission de revision, signée : Petit, président ; Locard, Devin, secrétaires ; pour copie conforme, Couturier.