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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


grand naufrage, lui paraissait de sauver Dreyfus[1]. Il n’avait plus en tête qu’une idée : la Revision ; il ne vécut alors que pour elle, des heures anxieuses et douloureuses, ménageant tout, amortissant tout, louvoyant, patientant, supportant pour elle, comme le rachat de ses erreurs, les attaques et les injures, écartant tout ce qui eût risqué, croyait-il, de compromettre la grande œuvre, entouré, et le sachant, de lâchetés, de trahisons « qui marchaient dans son ombre », — son ombre même le trahissait, — et cependant suivant son sillon, sa ligne droite, sans en dévier, tant que le but ne sera pas atteint. On a vu que, sur la route unie qui s’était ouverte d’abord devant lui, il avait accumulé lui-même les obstacles et que la faute est à lui si la Revision ne sortit pas des aveux d’Henry. Mais ses torts eux-mêmes, ses défaillances, tant d’ignorance des hommes, tant de facilité à être trompé, plaident pour lui ; en raison même de sa faiblesse, c’est la belle page de sa vie.

XIII

La commission de revision se réunit au ministère de la Justice, à l’heure même où l’État-Major mit la main sur Picquart[2]. Elle siégea jusqu’au soir, le lendemain et le surlendemain, sans désemparer.

  1. « J’étais d’ailleurs convaincu qu’en m’attachant seulement à la Revision, je faisais le nécessaire pour l’affaire Picquart aussi bien que pour la Revision elle-même. » (18 septembre 1903.) — Cornély, Notes sur l’Affaire, 401.
  2. 21 septembre 1898.