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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


lâche que bête ? les deux. » Et, très en verve, fouetté par la colère, heureux de prendre cet autre « incorruptible » en faute, il insistait : « Lâcheté ou imbécillité ? Les deux qualités ne sont pas contradictoires… Brisson, Sarrien, Bourgeois, toute la bande de la radicaille, plus jésuites que toute la jésuitière… Jamais on ne vit tel déchet d’humanité lamentable. » Il préférait Cavaignac, Bazaine, « qui, au moins, livra des combats pour l’honneur », et il montrait Brisson « agenouillé sous le sabre, n’ayant su que geindre en trémolos de mélodrame, mendiant tour à tour les faveurs des amis de la vérité, des partisans du mensonge »[1].

Ces temps, de nouveau assombris, furent de ceux où le plus difficile est de ne pas descendre aux invectives. Grande douleur de voir la République, après son faux départ vers la justice, retomber ainsi. C’était à pleurer de honte. La plume trembla aux mains des plus fermes, Ranc, Guyot, Jaurès. Cependant, par politique, et quelle que fût leur colère contre Brisson, ils le mirent hors de cause : « Ce crime de la dernière heure » a été voulu seulement par les bureaux de la Guerre et par Félix Faure ; celui-ci « n’a pas été surpris, comme l’a été Brisson, par cette abominable machination »[2]. J’avais visité cette prison du Cherche-Midi, moisie et sombre ; c’était bien « la maison de cette antinomie moyen-âgeuse, la justice militaire ». Combien de cachots déjà qui sont des lieux de pèlerinage ! « Cette longue liste s’est allongée d’une cellule de plus[3]… » Puis, sans s’attendrir davantage, on reprit le combat.

Ce qui empêcha tout désarroi, ce fut la certitude que l’accusation s’effondrerait aux premiers débats en plein

  1. Aurore des 22, 23 et 24 septembre 1898.
  2. Petite République du 22.
  3. Siècle du 24.