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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


soit qu’il en soupçonnât seulement quelque chose.

Zurlinden était à peine sorti du cabinet de Brisson que la bombe éclata. Le porteur de la nouvelle fut Sarrien. Comme Bertrand, le procureur général, venait de ratifier l’arrangement pour le renvoi de l’affaire de Picquart et de Leblois, le gouverneur de Paris l’avait informé qu’il lançait un mandat contre Picquart, sous l’inculpation de faux, et qu’il le réclamait, quelle que fût l’issue du procès correctionnel, pour l’autorité militaire[1].

On imagine quel coup ce fut pour Brisson qui se croyait hors de peine et escomptait, comme une nouvelle et décisive victoire, la mise en liberté du principal témoin de Dreyfus. Tout craquait de nouveau. Il entendit d’avance les cris de colère des revisionnistes et ressentit une humiliation cruelle d’avoir été joué une fois de plus.

Une pareille félonie, l’une des plus insolentes de cette histoire, si elle se fût produite sous l’un de ces conventionnels que Brisson aimait à célébrer, n’aurait pas été longtemps impunie. Il eût mandé à la fois Chanoine et Zurlinden, les aurait convaincus l’un par l’autre, Chanoine de lui avoir manqué de parole, Zurlinden de s’être associé à la déloyauté de son chef, tous deux d’avoir bafoué le pouvoir civil dans le dessein de peser sur la justice et de la tromper, et aurait exigé leur démission. Il se serait installé ensuite, lui-même, au ministère de la Guerre. Les auteurs du Code de justice militaire ont prévu le cas « d’une plainte inspirée par la passion ou par la haine » et reconnaissent au chef de

  1. 8e chambre correctionnelle, audience du 21 septembre 1898. (Instr. Fabre, 266, Sibben ; 271, 272, Bernard, président, Labori.) — Souvenirs de Brisson. (Siècle du 28 août 1903.)