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BRISSON

Brisson croyait que ces vilenies le laissaient insensible ; elles firent cuire la peau de Chanoine. C’était toujours le même système, si simple.

La veille du conseil, le 19, Brisson fit venir Chanoine. Celui-ci, avec sa rouerie de vieil Africain, commença par le consulter sur le choix du successeur d’Henry au bureau des Renseignements, « où se trouvaient tous les dossiers, tous les secrets et tous les dessous de l’Affaire »[1]. Brisson, de plus en plus en confiance, touché de cette marque de déférence, lui parla comme à un ami. Il lui exposa, en présence de Sarrien, que, Picquart étant à la fois plaignant contre un journal qui l’avait accusé d’avoir falsifié le petit bleu et inculpé devant le tribunal correctionnel, il ne fallait pas avoir l’air de peser, par une nouvelle poursuite, sur ces affaires pendantes ; cette dernière instance venait le surlendemain ; il convenait d’attendre, avant de prendre une décision au Conseil, que l’un ou l’autre au moins de ces procès fût vidé[2]. Chanoine, à ce discours où Brisson ne paraissait pas autrement convaincu que Picquart fût sans reproche, n’eut garde de répondre qu’évasivement ; il demanda seulement à « reparler » de cette histoire ; et Brisson, à qui il suffisait toujours de gagner du temps, se contenta de cette assurance, comme s’il ne venait pas d’avoir été deux fois trompé. Quand Chanoine lui proposa ensuite la nomination de Zurlinden au gouvernement de Paris, il n’osa pas s’y refuser, ni même insinuer qu’on pourrait attendre quelques jours et prolon-

  1. Brisson, Souvenirs, dans le Siècle du juillet 1903 : « Qui ne voit combien était significative, étant données les circonstances, comme adhésion du ministre à la Revision, la demande qu’il faisait au président du Conseil, revisionniste déclaré… etc. » — Brisson lui désigna un colonel de ses amis, que Chanoine lit venir et qui refusa.
  2. Brisson dans le Siècle du 24 août 1903.