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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


les imprudences et violences de langage (des généralisations téméraires et, parfois, des appels à l’indiscipline), les commentaient comme des preuves du complot contre l’armée. (Leurs propres outrages contre Zurlinden et Chanoine, tant qu’ils furent suspects de vouloir la Revision, étaient patriotiques.) Certains que la Cour de cassation déclarerait Dreyfus innocent, ils dénonçaient d’avance les juges comme vendus aux juifs et prêts à vendre à l’Allemagne « les secrets de la défense nationale ». C’est le propre des guerres civiles que les partis se jettent à la tête des calomnies que l’étranger ne proférerait pas.

Chaque jour, les dénigreurs du régime parlementaire, les députés plébiscitaires[1], réclamaient la convocation des Chambres, parce que la Revision ne pouvait être engagée « en dehors des représentants de la nation ». Et c’étaient les parlementaires qui s’y opposaient, puisque l’Affaire allait enfin sortir de la politique et rentrer dans le domaine judiciaire, d’où elle n’aurait pas dû sortir.

Avec cela, outre les polémiques furieuses des journaux d’avant-garde, les fausses nouvelles, les révélations saugrenues ou atroces, achevaient la déroute des esprits, criées dans les rues, imprimées en caractères d’affiches qui tiraient l’œil : Casimir Perier avait démissionné pour éviter la guerre[2] ; Dreyfus, ramené en France, est interné au Mont-Valérien[3] ; Esterhazy a été trouvé pendu[4] ; Henry ne s’est pas tué ; Boisdeffre, ou Cavaignac, ou les jésuites l’ont fait assassiner, ou leurs sicaires, pires que des meurtriers et plus lâches, lui ont mis le rasoir à la main[5]. — Cette version, ap-

  1. Lasies, Drumont, Gervaize, Millevoye, Berry, etc.
  2. Croix, Intransigeant, Libre Parole du 28 septembre 1898.
  3. Petit Journal du 2 octobre.
  4. France du 8 septembre.
  5. Ce fut la version de Clemenceau dans un article intitulé « Assassins » : « Un officier était dépêché à Henry pour lui