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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


voise, tend le poing. Les ironistes disaient des réunions privées « qu’on s’y convertissait entre soi »[1]. Dans les réunions publiques, dès que la contradiction se manifeste, tout de suite on en vient aux coups. C’était pour l’Idée (l’Armée ou la Justice), car, sauf les goujats qui s’amusaient, tous étaient sincères, au moins dans leurs haines. Les gens paisibles, bousculés dans la rue, à la sortie de ces séances ou quand ils en lisaient les comptes rendus, prenaient peur. Cela prêtait, d’autre part, à réfléchir aux césariens : le trottoir n’appartient plus aux anti-juifs ; des soldats, s’il s’en trouve pour un mauvais coup, les faubourgs ne les laisseront pas faire.

Pressensé devint l’un des orateurs favoris de ces clubs. La douleur qu’il éprouva quand il vit les pouvoirs publics, des hommes dont il était l’ami, Hanotaux, Méline, qu’il avait trouvé trop faible contre les partis avancés, et son propre parti, l’ancien centre gauche de son père, se cramponner à un jugement inique, cette douleur le projeta dans le socialisme révolutionnaire[2]. Il en adopta les idées, généreuses ou chimériques, et les haines, tournant le dos à son propre passé mort et s’élançant vers la vie nouvelle. Il ne tendit pas seulement la main aux ouvriers, mais aux agitateurs professionnels, aux exaltés et à d’autres qui étaient moins purs. On le vit tous les soirs, pendant près d’un an, sur les estrades, à Paris et en province, d’une passion et d’une intrépidité infatigables, tantôt avec des camarades de la Ligue des Droits[3], tantôt

  1. André Beaunier, Les Dupont-Leterrier, Histoire d’une famille pendant l’Affaire, 123.
  2. Chambre des députés, 13 mars 1903 : « La crise intellectuelle qui m’a amené à passer irrévocablement au parti de la révolution sociale… »
  3. Les professeurs Gley, Lapicque et Héricourt, le docteur Hervé, Morhardt, Psichari, Pierre Quillard.