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BRISSON


en l’état, c’est-à-dire Dreyfus au bagne. — Mais Brisson, sans se prononcer au fond, dit simplement que la question soulevée n’était pas à l’ordre du jour et ramena à la seule qui y fût. Il ne s’agissait pas de savoir si un autre colonel, un autre chef du service des Renseignements, était un faussaire, mais s’il fallait ou non envoyer à la commission consultative la requête de Lucie Dreyfus. Tillaye, seul, s’y opposa ; Faure se borna à résumer les débats. La majorité était si manifestement contre Zurlinden qu’il quitta la salle des séances, avec Tillaye, avant le vote[1].

À sa sortie de l’Élysée, Brisson fut acclamé par des groupes qui attendaient fiévreusement. La noblesse de ces jours tristes, c’est tous ces hommes, toutes ces femmes qui souffraient des souffrances de l’inconnu de l’île du Diable, espéraient sa délivrance comme celle du proche, de l’ami le plus cher.

Zurlinden calqua sa lettre de démission sur celle de Cavaignac : « L’étude approfondie du dossier judiciaire de Dreyfus m’a trop convaincu de sa culpabilité pour que je puisse accepter comme chef de l’armée toute autre solution que celle du maintien intégral du jugement. »

Quatre heures après, les démissionnaires furent remplacés, Tillaye par Godin, sénateur des Indes, et Zurlinden par Chanoine, qui rôdait, se tenait prêt. Brisson lui dit que la Revision était décidée, que le général n’avait, dès lors, qu’à accepter le fait accompli et que sa responsabilité n’y était pas engagée. Chanoine s’inclina[2]. Il avait prévenu des camarades, les membres du conseil supérieur de la Guerre, leur promettant qu’ils pouvaient compter sur lui et qu’il ne les trahirait pas.

  1. Souvenirs de Brisson (Siècle du 20 mai 1903).
  2. Cass., I, 49, et Rennes, I, 213, Chanoine ; Souvenirs de Brisson.