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BRISSON


lus s’emparèrent du silence qui s’était fait autour d’un cercueil.

Les épais menteurs qu’étaient les Assomptionnistes racontaient, dans leurs Croix[1], aux montagnards du Rouergue et du Gévaudan, qu’Henry, envoyé en mission au Mont-Valérien, avait été assassiné par des rôdeurs, des sicaires, sans doute à la solde des juifs. Ces grosses sottises ne furent jamais de la façon des Jésuites ; ils virent très bien que ce qu’il fallait, c’était un miracle : le faussaire ressuscitant héros.

Le lendemain des obsèques d’Henry, Maurras, l’un de leurs hommes, écrivit dans la Gazette de France, la doyenne de la presse catholique et royaliste : « Beaucoup de patriotes ont découpé dans les journaux le portrait du lieutenant-colonel Henry et ont placé cette image, d’un dessin hâtif et grossier, d’un sens sacré, dans l’endroit le plus apparent du lieu qu’ils habitent. »

Et, deux jours de suite[2], il développa ce thème : que le faux n’était pas un faux, mais, comme Judet l’avait trouvé avant lui[3], « un billet de banque, d’une valeur fiduciaire représentant des pièces d’une authenticité absolue » ; — que « l’énergique plébéien, qui n’avait que faire de choquer les délicatesses des gentilshommes de l’État-Major, l’avait fabriqué pour le bien public, ne s’en ouvrant à personne, pas même aux chefs qu’il aimait, consentant à se risquer, mais seul » ; — dès lors, « que sa conscience n’avait rien eu à se reprocher », en dépit de « notre mauvaise éducation demi-protestante, incapable d’apprécier tant de noblesse intellectuelle et morale » ; — et que celui qu’il fallait stigmatiser, c’était le spéculateur en vertu, Cavaignac, « pour

  1. Croix de l’Aveyron du 3 septembre 1898.
  2. Gazette de France des 5 et 6.
  3. Petit Journal du 2.