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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


s’étonna que ce fût Picquart, qu’il avait tenu en haute estime, son compatriote (lui de Colmar, Picquart de Strasbourg) et qu’il avait appelé lui-même au bureau des Renseignements. En janvier, quand il avait transmis à Billot l’avis du conseil d’enquête, ces vieux souvenirs l’avaient ému, et il avait proposé la peine la moins sévère[1].

L’idée que le « grattage » pût être l’œuvre d’un autre ne lui vint même pas. La démonstration de Roget était formelle : ce ne pouvait être que Picquart. Si quelqu’un eût suggéré que c’était Henry, il s’en fût (sincèrement) indigné. Il interrogea ensuite Gonse, Lauth, et Gribelin, « qui maintinrent intégralement les accusations qu’ils avaient portées solennellement contre Picquart »[2] (au procès Zola et à l’instruction Fabre) ; et, ici encore, l’idée ne lui vint pas que ces officiers pouvaient mentir.

Le lendemain, Cuignet lui remit la déposition, écrite et signée, qu’un officier, le capitaine Tassin, était venu faire le jour même au ministère. Quelques heures après la parade de dégradation, Picquart avait demandé à Tassin son sentiment sur l’horrible spectacle : « Dreyfus, lui avait répondu l’officier, m’a paru d’un cynisme révoltant ; sa marche au pas cadencé, en balançant les bras, m’a stupéfié ; j’ai été surtout confondu de le voir suivre des yeux, comme avec intérêt, l’arrachage de ses galons, — Parbleu ! avait riposté Picquart, il pensait à leur poids : tant de grammes à tant, ça fait tant ! » Et encore, sur l’observation de Tassin qu’il se sentait de la pitié pour les enfants du « gredin » : « Allons donc, il n’y a pas un juif qui n’ait des forçats dans sa famille[3] ! »

Que le même homme eût tenu ces propos et fût de-

  1. Cass., I, 217, Galliffet.
  2. Rennes, III, 469, Zurlinden.
  3. « Compte rendu d’une conversation entre le commandant Picquart et le capitaine Tassin le jour de la dégradation de Dreyfus… Certifié conforme à la vérité, Paris le 6 septembre 1898, signé Tassin. » (Dossier de la Cour de cassation.) — le récit de Tassin est mentionné au rapport de Bard. (Revision, 57.)