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BRISSON

C’était un homme de volonté si incertaine qu’ayant résolu de « travailler seul avec sa conscience »[1], au contraire de ses prédécesseurs, son premier acte fut de prier les officiers de Cavaignac de rester à leurs postes, c’est-à-dire Roget et Cuignet[2], apparemment de toute confiance et d’une scrupuleuse impartialité, l’un qui, depuis six mois, étudiait l’Affaire[3], et l’autre qui n’avait pas hésité devant le plus pénible des devoirs pour un soldat. Il s’entretint aussitôt avec eux ; Cuignet « lui procura les renseignements nécessaires » ; Roget « l’engagea à traduire Du Paty devant un conseil d’enquête pour fautes graves dans le service ». Il y avait déjà songé, chargea d’urgence le général Renouard d’interroger Du Paty ; enfin, il eut la visite de Cavaignac lui-même, qui fut également reçu par Faure[4].

Le moment après qu’il eût pris possession du service et se fut entouré ainsi des gens qui étaient le mieux faits pour le tromper, il réclama les dossiers où Brisson l’avait autorisé à chercher la vérité, alors qu’ils étaient pleins des faux d’Henry. Le miracle eût été qu’il ne tombât pas au premier faux. C’était l’adresse du petit bleu, grattée et récrite de la façon que l’on sait. Il s’aperçut lui-même de la supercherie[5], n’y comprit rien et appela Roget, qui lui expliqua que c’était toute l’Affaire.

  1. Zurlinden, Ma Réponse.
  2. Ibid. et Cass., I, 54, Roget.
  3. Cass., I, 48, Zurlinden.
  4. Zurlinden, Ma Réponse ; Cass., I, 105, Roget ; note Havas du 5 septembre ; la note précise que Cavaignac, redevenu simple député, fut reçu « en audience ».
  5. Instr. Tavernier, 2 novembre 1898, Roget : « Zurlinden fit lui-même, seul dans son cabinet, les constatations que j’avais déjà faites avec Cuignet ; il me fit appeler et m’en fit part. » — De même Rennes, III, 282.