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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


publier : « Ne triomphez pas trop vite. Le sang a coulé Vous piétinez dedans avec bonheur. Mais votre triste client n’est pas sauvé[1]. »

Comme on savait Brisson acquis à la Revision, c’était le conflit public, scandaleux, entre le président du Conseil et le ministre de la Guerre.

Enfin, le troisième jour, Brisson se décida. Il fit dépêcher d’abord à Mathieu Dreyfus l’ami de l’un de ses amis[2], pour s’étonner de n’avoir encore rien reçu de la femme du condamné. L’envoyé, n’ayant pas rencontré Mathieu, vint chez moi. Le droit de provoquer la Revision, lorsque survient un fait nouveau, appartient, aux termes de la loi, au garde des Sceaux[3]. Sarrien préférait être saisi par Lucie Dreyfus ; ainsi il n’ouvrira pas de lui-même la procédure ; le premier pas vers la justice, ce n’est pas le ministre de la Justice qui l’aura fait[4]. Je répondis que la demande serait déposée le soir même à la chancellerie, où Demange, en effet, la porta dès qu’il l’eut rédigée et fait signer[5]. — Un peu plus tard, Bourgeois, arrivé de

  1. Gaulois du 3 septembre 1898. — Paul Meyer lui répondit par une très belle lettre ; après avoir établi que « ses condoléances étaient antérieures à la mort d’Henry », il le conjura d’aider à mettre fin « au désarroi qu’il avait contribué à créer… Je vous crois homme de cœur. Agissez promptement. Associez-vous à la réparation des torts dont vous êtes responsable et travaillez, ainsi à l’apaisement. Sinon, vous vous préparez des remords qui empoisonneront votre existence jusqu’à votre dernier jour. »
  2. Léon Bollack ; il était des amis de Gachet, lui-même l’ami intime de Brisson, membre de son comité électoral, l’un des plus fermes républicains du Xe arrondissement.
  3. Article 443, § 4 du Code d’instruction criminelle.
  4. Jaurès le lui reprocha : « Pourquoi laisser à Mme Dreyfus l’initiative de la procédure de revision, au lieu de l’ouvrir soi même au nom de la France ? » (Petite République du 8 septembre 1998.)
  5. La rédaction de la lettre fut arrêtée dans une réunion qui se tint chez moi et qui comprenait Demange, Trarieux, Labori, Mornard, Ranc et Mathieu Dreyfus.