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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


devoir avait tant baissé, un scepticisme si corrupteur empoisonnait les sources profondes, qu’on l’admirait de n’avoir pas fait le silence sur le faux. Qu’un ministre révélât lui-même, sans y être contraint, sa propre erreur, cela paraissait d’un héros de Plutarque. Un pays est malade si les honnêtes gens eux-mêmes célèbrent comme un être d’exception un témoin qui ne se parjure pas, quand c’eût été son intérêt, un citoyen qui vient en aide à un opprimé. Scheurer, Grimaux avaient repoussé ces éloges excessifs. Cavaignac, parce qu’il n’avait pas commis le crime de couvrir celui d’Henry, se croyait un Romain, le disait et l’exploitait.

Il eût pu mettre sa faute, simplement reconnue, au service de la Justice ; nul n’aurait réclamé, poursuivi la Revision avec plus d’autorité, au nom de l’armée. Du coup, il passait homme d’État, grand homme.

Il examina cette solution, la repoussa, sous l’influence, a-t-on dit, de Jamont et de Mercier, qui était accouru, mais aussi par manque d’intelligence et de cœur. Le profit qu’il tirait d’un aveu partiel de faillibilité, il l’aurait centuplé par un aveu complet. Son amour-propre, un orgueil démesuré empêcha ce mathématicien de faire ce calcul. Il persista dans son premier projet, où il retournait contre les défenseurs de Dreyfus sa loyauté d’une heure. Un autre eût glissé au cadavre d’Henry ; il s’en fera un marchepied, un piédestal. Jamais homme n’a été plus suffisant dans l’insuffisance, n’a déshonoré à tel point sa propre honnêteté.

Ce vent de bataille qui soufflait de nouveau à l’État-Major ; ces déclarations tranchantes de Cavaignac sur un ton résolu, la même énergie dans ses affirmations nouvelles que dans son fameux discours, le même manque d’incertitude ; ses conversations avec de nombreux visiteurs qui, à sa demande, répétaient ses