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BRISSON


remuait beaucoup, et, d’ailleurs, au grand jour, faisant publier partout que ni les aveux, ni le suicide d’Henry n’avaient en rien modifié son opinion sur Dreyfus[1]. « Moins que jamais », comme il l’a dit dès la première heure à Vallé, il n’accepte la Revision. Décisif contre le juif en juillet, le faux est devenu de nulle importance en septembre et n’infirme nullement, bien mieux, confirme toutes les autres preuves contre Dreyfus, réunies (ou forgées) par ce même Henry. — L’autre pièce, qu’il a lue à la tribune, où l’initiale de Dreyfus a été écrite par Henry sur un grattage, c’est encore un faux ; il s’en tait ou l’ignore. — Les aveux, colportés à l’origine, sinon inventés, par Henry, gardent toute leur force. Seul Dreyfus a pu pénétrer au cœur des mystères de l’État-Major, ainsi qu’il résulte des notes du bordereau, d’autant plus probantes qu’on ne les a pas. Il venait d’apprendre de Gonse qu’Henry était, en outre, un voleur. Gonse, en vidant les tiroirs du faussaire, y avait découvert la « masse noire » qu’il s’était constituée « au moyen de dépenses fictives », et qui s’élevait, ce jour-là, à près de trente mille francs[2]. Cavaignac ordonna de reverser ces espèces dans la caisse et de faire le silence sur cette trouvaille.

De Drumont ou de Rochefort, une telle ténacité dans l’absurde n’aurait pas surpris et n’eût pas été de conséquence. L’évidence même commença à se voiler quand on sut l’attitude de Cavaignac. La notion du

  1. Dès le 31 août, dans le Temps : « L’affaire du colonel Henry ne change rien à la conviction de M. Cavaignac au sujet de la culpabilité de Dreyfus. » Les journaux de l’État-Major (Patrie, Soir, Presse, Jour du 31, Écho de Paris et Libre Parole du 1er) reproduisirent presque dans les mêmes termes des conversations du commandant Maudhuy, officier d’ordonnance de Cavaignac, chargé des relations avec la presse : « L’opinion du ministre reste entière. Sa conviction s’est fortifiée de l’étude du dossier. La vérification n’a fait découvrir qu’une pièce fausse. C’est une preuve de plus en faveur de l’authenticité des autres. La culpabilité de Dreyfus est plus absolue que jamais. » La Libre Parole précise que l’officier, qui lui a donné ces assurances au ministère de la Guerre, parlait « au nom de M. Cavaignac ». Et le lendemain : « Plusieurs officiers nous ont fait de nouveau, au nom de M. Cavaignac, la déclaration suivante : « Dites bien, répétez-le » sans cesse et tous les jours, pour que l’on n’égare pas l’opinion… » — L’Écho nomma ses interlocuteurs, Maudhuy et Cuignet.
  2. Procès-verbal du 1er septembre 1898, signé Gonse. Le reliquat était exactement de 29.500 francs (Procès Dautriche et consorts, rapport Cassel. Dossier I, cotes 115 et 119).