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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


le garde des Sceaux, qui se prononçait pour la Revision, mais eût préféré en laisser l’honneur à son redoutable collègue[1]. Cinq ministres étaient absents[2]. On a vu que, le 31 août, dans leurs quatre conseils et le soir encore, quand Brisson annonça à Cavaignac le suicide du faussaire, ils n’avaient discuté que de Boisdeffre. Pas un mot, ce soir-là, des scellés à apposer, de perquisitions à opérer. On eût dit que Brisson avait encore peur du solennel maniaque dont il avait fait le chef de l’armée. Pas un mot d’Esterhazy, pas un reproche pour avoir gardé le silence, pendant quinze jours, sur la trouvaille de Cuignet. Les journaux maintenant étaient pleins de la protestation de Pellieux[3]. Brisson écrira plus tard que « la lettre de Pellieux, si elle avait été communiquée au conseil des Ministres, eût entraîné la Revision immédiate et changé complètement le cours des événements, en achevant la déroute de l’adversaire »[4]. Il avait lu les journaux, n’avait qu’à demander compte de l’incident à Cavaignac, à lui réclamer la lettre, à faire venir Pellieux, « ce témoin qui savait tout ». Il n’en fit rien.

Pendant que Brisson, dans une telle inertie, laissait évaporer la victoire, Cavaignac, au contraire, se

  1. Sarrien se rendit deux fois dans la journée du 2 au ministère de la Guerre. Dans l’intervalle, il eut un long entretien avec Brisson (Agence Havas).
  2. Bourgeois, Lockroy, Maruéjouls, Viger et Peytral.
  3. Tous les journaux, y compris la Libre Parole, reproduisirent l’article du Gaulois.
  4. Souvenirs de Brisson, dans le Siècle du 2 mai 1903. Il y revient vingt fois : « Cette lettre m’obsède ; elle est grave… quel drame !… Il y avait un phare, et ce phare n’a lui que pour quelques uns. » (Par la faute de qui ?) « Si nous avions pu conférer avec le général de Pellieux… etc. — De même à la séance de la Chambre du 6 avril 1903. — Il ne « songea pas davantage à demander les rapports sur la mort d’Henry ».