Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
228
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Ainsi, en quelques heures, se crevassait toute l’œuvre des faussaires et sous les plus hautes des sanctions, les sanctions morales, ce qui était conforme à la poétique de l’étonnante affaire.

Il n’y avait donc qu’à prendre l’offensive, à parler haut, surtout à agir vite, à ne pas commettre l’imprudence « d’imposer à la vérité un nouveau stage ». C’était le conseil des plus modérés, des convertis d’hier, et qui déjà ne ménageaient pas leurs avertissements aux ministres « hésitants et pusillanimes »[1]. Très peu d’actes eussent suffi, très simples, de la plus stricte légalité ou d’humanité : arrêter Esterhazy, — comme complice du faux d’Henry ou comme escroc, en raison de la plainte de Christian, — ouvrir à Picquart les portes de sa prison, abattre la palissade de Dreyfus[2], saisir la commission de revision.

Le débordement des grandes eaux eût tout emporté.

Brisson attendit, négocia.

II

C’était tout ce que demandaient pour l’instant les haïsseurs de vérité : chaque minute perdue par Brisson était gagnée pour eux, car le peuple en concluait

  1. Temps du 2 septembre 1898.
  2. C’est ce que Trarieux, demanda à Trouillot, ministre des Colonies : « Vous pouvez, tout en restant dans le respect de la loi, soulager des souffrances physiques et morales dont nous ne saurons bientôt comment effacer le souvenir. N’attendez pas d’y être contraint pour agir. Vous vous honorerez en accomplissant un acte de libre initiative » (2 septembre 1898). — Le régime de Dreyfus fut maintenu.