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LA MORT D’HENRY


bre). Le lendemain, l’abbé Combel, curé de Suresnes, récita sur le cercueil les prières des mots que l’Église refuse d’ordinaire aux suicidés ; mais elle fait fléchir ses sévérités pour ceux qui se sont donné la mort dans un instant de folie, surtout quand ils ont servi de leur vivant les bonnes causes. Des artilleurs en tenue placèrent alors le cercueil sur un fourgon des pompes funèbres, en présence des officiers et du commandant du fort, mais sans que les soldats rendissent les honneurs, et le corps fut conduit à la petite gare de Suresnes pour prendre de là le chemin de Pogny, du village natal d’Henry, où la famille avait décidé de l’ensevelir. Il y arriva le soir même et fut porté à la vieille maison paternelle. Le maire de la commune, la foule des villageois, formant cortège, suivirent dans la nuit, à travers les prairies de la Marne. Les obsèques eurent lieu le jour suivant (4 septembre), sans le concours du clergé. L’évêque de Châlons[1], moins politique que l’archevêque de Paris, défendit par dépêche, au curé de Pogny, de célébrer aucune cérémonie religieuse ; l’église était déjà parée, drapée de noir. « La population fut vivement affectée » de ce refus. On mit sur la bière l’uniforme d’Henry, un soldat porta sur un coussin ses nombreuses décorations, la fanfare elles pompiers encadrèrent le convoi. Deux officiers, le capitaine Mareschal, du bureau des Renseignements, et un officier d’infanterie[2] tinrent, avec deux amis personnels, les cordons du poêle. Des couronnes avaient été envoyées ; l’une portait cette inscription : « Un ami de la France. » Au cimetière, le docteur Renaudin, maire de Pogny, prononça un discours « patriotique et ému[3] ».

  1. Mgr Latty. — La dépêche est ainsi conçue : « Quoi qu’il arrive, maintenez refus absolu. »
  2. Le capitaine Blankaert.
  3. Temps du 5 septembre 1898.