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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


remis son service ; il l’avait revu encore en présence de Roget et du colonel Féry. Ainsi, le temps ni l’occasion ne lui avaient manqué de s’expliquer. Si Gonse a été son complice, ou Boisdeffre, si les chefs ont ordonné le coup qu’il a fait, c’était devant le ministre qu’il fallait leur jeter à la face l’accusation. Cavaignac, devant un tel scandale, aurait hésité. Rien d’irréparable encore ne s’était produit. Henry lui-même, il avait essayé d’abord de l’épargner. Par trois fois, il lui avait tendu le mensonge sauveur.

Hier, Cavaignac eût pu le croire, s’il avait mis en cause les chefs. Aujourd’hui, c’était trop tard. Henry eût dit la vérité que, faussaire de son propre aveu, il n’était plus qu’un menteur.

Et, si ce n’était pas du faux qu’Henry avait « absolument besoin de parler » à Gonse, de quoi donc ? Était-ce sa confession complète qu’il lui voulait faire ?

À cette heure, il lui eût fallu du génie pour prévoir que celui de ses crimes qu’il avait avoué, le crime le plus bas qui soit avec la trahison, demain deviendrait patriotique ; que les défenseurs de l’armée le glorifieraient d’avoir trompé ses chefs, les catholiques d’avoir commis un faux infâme ; qu’il passerait héros.

Pourtant, s’il n’avait failli qu’une seule fois, « dans l’intérêt de la patrie », comme il dit à Cavaignac, il eût pu compter sur l’indulgence des juges militaires et qu’il s’en tirerait à bon compte. Et d’autant plus il aurait pu s’en flatter que le ministre ne l’avait pas envoyé au Cherche-Midi, mais au Mont-Valérien, au pavillon des officiers qui n’ont encouru que des peines disciplinaires.

Ce qu’il voyait, c’était, au contraire, le triomphe des revisionnistes, leur arrivée au pouvoir, leur justice et leurs vengeance, ils voudront tout savoir et sauront