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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Des journalistes coururent réveiller Esterhazy. Le forban, « avec le plus grand sang-froid et sans paraître troublé le moins du monde », demanda des détails et conclut : « Voilà qui va faire du bruit[1]. »

On eût juré qu’il avait, au moins, prévu la catastrophe[2].

Le lendemain, Marguerite plaisanta : « Faut-il qu’Henry soit bête pour avoir avoué ? Nous savions bien que c’était lui qui avait fait la pièce ! « Puis, comme un journaliste la pressait de questions : « Je ne mange pas le morceau, moi !… Je ne suis pas officier d’État-Major ! » En belle fille amoureuse, elle parla chaudement de son souteneur : « Esterhazy me dirait qu’il faut vivre avec trente sous par jour, j’accepterais[3]. »

La nouvelle, télégraphiée dans le monde entier, y fit passer le frisson dont Paris avait tressailli. À Dieppe, Bertulus confia au docteur Peyrot[4], pour qu’il la racontât à Sarrien, la scène du 18 juillet dans son cabinet : « Je vais être un témoin terrible pour Henry ; la lumière vient de se faire en moi[5]. » À Évian, dans la salle d’hôtel où la dépêche fut affichée, Mercier, quand

  1. Événement du 31 août 1898. — Cass., I, 290, femme, Gérard : « Il est arrivé trois messieurs à 2 heures du matin… Mme Pays nous a dit que c’étaient trois officiers de l’État-Major. » Marguerite rectifie : « C’étaient deux journalistes dont un rédacteur à l’Événement, Chabrier. » (798). L’autre était un rédacteur du Petit Bleu, Louis Gaillard. Elle dit qu’ils revinrent « le jour du suicide avec un troisième (Dollfus) ».
  2. « On commente différemment le rôle de M. Esterhazy dans cette affaire. » (Patrie du 31 août 1898.)
  3. Cass., I, 290. Mme Gérard. — « Hein ! lui, l’homme intègre, le soldat du devoir ! » Petit Bleu du 1er septembre 1898.)
  4. Médecin en chef des Hôpitaux de Paris, membre de l’Académie de Médecine, sénateur de la Dordogne.
  5. Rennes, I, 355, Bertulus. — Peyrot fit le récit à Sarrien et au docteur Paul Reclus.