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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


alors que, lui-même, il occupait déjà de hautes fonctions. Delcassé ne savait donc rien de ces graves affaires ; au surplus, il était encore étonné de se voir au quai d’Orsay, s’était séparé de ses plus anciens amis qui avaient pris parti pour la revision (Scheurer, Ranc, et moi-même), et recherchait alors Déroulède, ou feignait de prendre ses avis. De même, Méline n’avait rien dit à Brisson. Faure, lui aussi, qui savait tout, garda le silence[1].

Cavaignac l’emporta donc contre Brisson, qui consentit à se rendre, avec Sarrien, le garde des Sceaux, au ministère de la Guerre, où cinquante à soixante pièces du dossier secret couvraient une grande table[2]. Il y écouta les explications du ministre de la Guerre, qu’il savait honnête et qu’il croyait sagace, jugea inutile d’entendre celles de Gonse sur le reste du dossier, examina surtout le faux d’Henry qu’il trouva bon ; Sarrien aussi[3].

Quand la cécité, tel un fléau d’Égypte, frappe les nations, beaucoup, et des meilleurs, n’y échappent pas. Terrible influence des passions ambiantes, déraisonnées,

  1. Chambre des députés, 13 décembre 1900 : « Brisson : Je pense que, dans une affaire aussi grave, M. Méline et M. Hanotaux auraient dû signaler (ces incidents) à leurs successeurs, et ils ne l’ont pas fait. — Méline : Si M. Hanotaux, en quittant le ministère, ne s’en est pas occupé et ne l’a pas signalé d’une façon particulière, c’est qu’il n’avait aucune raison de le faire et que personne n’y attachait une importance sérieuse. »
  2. Séance du 19 décembre 1898, récits (identiques) de Brisson et de Cavaignac.
  3. Brisson : « Naturellement, nous avons pensé, M. le Garde des Sceaux et moi, que, puisque ces pièces étalées devant nous avaient paru à M. le ministre de la Guerre être les plus décisives dans le sens de la culpabilité de Dreyfus, nous avions, par le fait, examiné tout le dossier. Le raisonnement de M. le ministre de la Guerre avait d’ailleurs pour centre la pièce où Dreyfus était nommé. ».