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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

« Je suis absolument sûr, répondit Henry, de n’avoir pas décollé, puis recollé la pièce de 1894 ; du reste, je ne décolle jamais les pièces. » Cavaignac : « Gardez-vous quelquefois des morceaux sans les reconstituer ? » (Visiblement, il cherche encore à le sauver.) Henry, s’obstinant : « Je ne me rappelle pas avoir gardé de morceaux de papier en vrac pendant plus de huit ou dix jours, le temps de débrouiller un peu. »

Il s’est pris lui-même dans le lacs que rien ne peut plus dénouer. Lui-même, il se le serre encore autour du cou : « J’ai recherché la pièce de 1894, quelques jours après avoir remis l’autre au général Gonse ; je ne savais pas où elle était. »

Il s’était plaint à sa femme d’un violent mal de tête[1]. Il était usé par cette longue guerre de six ans ; il fut certainement, dans ce dernier combat, inférieur à lui-même.

Cavaignac, à présent, ne pouvait plus rien pour cet homme qui se condamnait lui-même. Sûr désormais de son fait, il va montrer aux généraux « atterrés[2] » ce que c’est qu’un juge. Il répète, très dur, que la pièce de 1894 contient des morceaux appartenant à celle de 1896. « Cela me paraît impossible », riposte Henry. Cavaignac : « Il y a une preuve matérielle que certains morceaux ont été interchangés. »

Henry, qui lisait maintenant dans les yeux blêmes de Cavaignac la terrible accusation, se risqua à la formuler lui-même ; il ne la craint pas, puisqu’il va au devant ; sa fameuse loyauté ne supporte pas le soupçon. « Comment j’explique le fait ?… C’est que j’aurais fait moi-même l’intercalation ! Je ne peux

  1. Jour du 1er  septembre 1898.
  2. Cass., 121, Roget.