Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
174
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


des Invalides : « Je les ai écrites au crayon sous la dictée de quelqu’un. » Le président à Esterhazy : « Savez-vous si le lieutenant-colonel Du Paty connaît ce quelqu’un ? — Oui, le colonel le sait. » Du Paty : « Je le connaîtrais, je ne le dirais pas ; je ne suis pas un mouchard. » Il convint toutefois d’avoir corrigé l’article « Dixi ». Le président : « Esterhazy n’a donc pas agi seul, mais avec le concours d’officiers de l’armée active ? — Oui ! » Puis, comme s’il en avait trop dit : « Esterhazy n’a jamais su qu’il était défendu par l’État-Major, mais seulement par des individualités ; j’étais un des plus intéressés à la manifestation de la vérité ; c’est pourquoi je l’ai aidé. » D’un ton solennel, Esterhazy l’adjure : « Vous connaissez aussi bien que moi l’auteur des lettres. » Du Paty se tait. Le président : « Je vous pose la question. — J’ai dit tout ce que j’avais à dire. — En résumé, vous avez aidé le commandant… Est-ce sur votre initiative ? — Je ne veux pas le dire devant Esterhazy. — Ment-il en disant que la lettre lui a été dictée ? — Il ne ment pas… ou plutôt… Je retire ce que j’ai dit. » Esterhazy, intervenant : « J’affirme que l’article m’a été apporté tout écrit et que les lettres m’ont été dictées. » Du Paty : « Je suis sûr qu’il ne ment pas en ce qui concerne l’article ; quant aux lettres, je ne sais pas… Je n’ose pas confirmer le dire du commandant ; je ne dis pas le contraire. » Il certifia enfin qu’Esterhazy, en avril, lui avait tenu ce langage : « On m’a fait des propositions ; je n’ai pas dix francs dans ma poche ; mes bottes sont percées ; j’aimerais mieux crever de faim que de faire du tort aux braves gens qui m’ont aidé. » Esterhazy : « Non, je ne veux rien leur faire, mais je voudrais bien qu’on agisse de même à mon égard[1]. »

  1. Cass., II, 177 à 180.