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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


escomptait ses Mémoires, qui lui rapporteraient quelque argent (surtout s’il ne les publiait pas) ; sa maîtresse retrouvera des amis riches.

Précédemment, pour amadouer Cavaignac, le sachant enragé contre Picquart, il avait demandé l’autorisation de porter plainte, « pour le petit bleu », contre leur commun ennemi. La lettre resta sans réponse[1]. Dès qu’il reçut son ordre de comparution, il écrivit de nouveau à Cavaignac, insistant pour une audience, l’avertissant que, s’il s’obstinait à le sacrifier, il y perdrait la présidence de la République[2]. Encore une fois, Cavaignac haussa les épaules.

On peut supposer qu’il courut alors chez Henry. Que se dirent-ils ? À qui des deux revint l’idée de la suprême manœuvre qui fut tentée : intimider Cavaignac par Drumont ?

Esterhazy, cela est certain, commença par croire la partie perdue. Si, par miracle, il échappe au conseil d’enquête, il succombera à la plainte (en escroquerie) de Christian. L’avis de Tézenas, « d’aller vers d’autres cieux », était le bon. Le 21 août, Marguerite surprit son amant qui consultait un indicateur de chemin de fer pour l’étranger. Elle entra dans une colère de fille trompée, poussant de tels cris que la concierge accourut : « Lâche ! canaille ! sans cœur ! » — puisqu’il la voulait abandonner sans un sou, — menaçant d’aller trouver le ministre et de lui dire tout. Et le misérable, à genoux, la suppliait de n’en rien faire[3].

Encore une fois, il ajourna son départ ; et, dans un de ces accès furieux d’énergie qui succèdent fréquemment chez les tuberculeux de son espèce aux pires

  1. Dessous de l’Affaire, 40.
  2. Cass., I, 593, Esterhazy.
  3. Ibid., I. 788, femme Gérard.