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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


D’autre part, le bon sens et l’équité se révoltaient à l’idée d’appliquer à Picquart ou à Leblois le texte forgé contre des traîtres et des trafiquants de documents militaires. Même s’ils s’étaient trompés sur Dreyfus, leur erreur eût été généreuse. Or, ils ne s’étaient pas trompés ; et Fabre non plus ne s’y fût pas trompé, s’il eût connu alors le faux Henry que connaissait Cavaignac. Il n’eût pas appuyé son ordonnance sur le témoignage d’un faussaire. Avec quiconque n’était pas frappé d’aberration mentale ou de perversion morale, il eût conclu du faux d’Henry à l’innocence de Dreyfus, au non-lieu pour Picquart et Leblois.

Un juge doit savoir lire dans les âmes, comme un cadi du temps d’Aroun-al-Rachid. Il peut conclure contre l’équité en faveur du droit, sans être reprochable devant la loi et même devant sa conscience ; mais la loi laisse à sa conscience la faculté de rechercher la pensée derrière le fait. L’application mécanique et violente de la lettre légale, qu’on croit parfois indispensable à l’intérêt social, est le plus souvent préjudiciables à l’idée de justice. Le juge ne doit pas appliquer la loi comme un prêtre thibétain tourne un moulin à prières. Il ne doit pas s’arrêter à l’écorce du droit.

IV

Pendant que Cavaignac, par son silence à l’endroit de Brisson, de Sarrien et de Fabre, induisait la justice

    de Picquart et de Leblois, une présomption de faits paraissant en contradiction manifeste avec les charges qui ressortent des informations du juge d’instruction… » En d’autre termes, Picquart n’a pas cherché à substituer à l’innocent un coupable donc pas de pensée délictueuse, pas de délit.