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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Dreyfus, il était dur d’aller confesser que ces hommes, au moins sur un point, avaient eu raison contre lui, et que le principal accusateur, à la fois de Dreyfus et de Picquart, était un faussaire. Il attendra pour rendre compte au chef du Gouvernement qu’il ait arraché à Henry, « par sa résolution et sa volonté », l’aveu du crime. Alors, la gloire d’avoir fait justice, qui n’appartient encore qu’à la lampe de Cuignet, il la revendiquera pour lui.

III

Cavaignac, à son habitude, exécuta son programme. Le 15, il se rendit à Mâcon avec le ministre de la Justice, ne lui souffla mot de l’événement de la veille et se fit prodiguer les ovations. C’était le département de Sarrien, qui, jaloux de son collègue, essaya de le retenir, chaque fois que la foule l’appelait au balcon. Mais Cavaignac s’y empressait, ou, suivi d’officiers en grand uniforme, il descendait sur la place, se mêlait aux badauds enthousiastes. Son père, en 48, après juin, où il compta ramasser dans l’ordre rétabli et dans le sang la présidence de la République, avait manqué le courant populaire ; l’aveugle torrent du suffrage universel s’était rué aux Bonaparte. Enfin, le courant venait à un Cavaignac, l’homme « le moins peuple qui fût de pensée et de cœur », qui avait perdu une première fois la partie en misant sur la vertu[1], mais qui se croyait sûr

  1. Jaurès, les Preuves, 216 : « C’est l’autre, l’heureux courtier du Havre, qui a cueilli le fruit ; et pendant les votes du congrès (1895), entre les deux tours de scrutin, M. Cavaignac