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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


dira, dans un nouveau lustre de vertu, sa renommée compromise[1].

Telles furent ses raisons, bonnes et mauvaises, les unes certainement plausibles, les autres d’un égoïsme ou d’une inconscience cynique, comme d’aller parader en province et de s’y faire acclamer le vainqueur de Dreyfus et du Syndicat, alors que l’énorme machination s’écroulait. Car le crime d’Henry, c’est la revision inévitable et, dès qu’il sera public, il n’y aura plus un seul homme sensé ou de bonne foi qui ne dira : « Puisque l’homme de confiance de l’État-Major a été obligé de fabriquer contre Dreyfus, après coup, des pièces fausses, c’est qu’il n’y avait pas de charges vraies ; quand on est réduit à fabriquer de la fausse monnaie, c’est qu’on n’en a pas de bonne[2]. »

Mais Cavaignac, précisément, ne tira pas de la fâcheuse découverte cette conclusion, ou, si ce fut sa première vision des choses[3], il eût vite fait de l’écarter. Il a pu se tromper, être trompé (avec l’État-Major, Brisson et la Chambre) sur l’authenticité d’une pièce entre mille, bien qu’elle fût triplement marquée de faux par sa date, son contenu et son style ; et il va s’honorer en proclamant leur commune erreur, dont il ne se serait jamais aperçu si Henry avait été plus adroit et sans la lampe de Cuignet. Cependant, il était impossible qu’il se fût trompé sur Dreyfus, puisque le juif avait avoué[4] et que le reste du dossier d’Henry était

  1. Chambre des députés, 5 avril 1903, Cavaignac : « Je suis sorti volontairement des voies régulières, j’ai fait venir le coupable devant moi ; j’ai arraché de lui, par ma résolution et par ma volonté, l’aveu que vous essayez aujourd’hui d’exploiter contre nous. »
  2. Jaurès, les Preuves, 246.
  3. Cass., I, 25, Cavaignac.
  4. C’est ce qu’il dit à Brisson le 3 septembre suivant, puis à la Cour de cassation (I, 36) et à Rennes (I, 183).