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CAVAIGNAC MINISTRE


âmes. Il expliquait ainsi les désastres de l’Année terrible : « C’est aux compagnons d’armes de leurs pères que ces fils des kaiserlicks livraient nos soldats par 170.000 et nos drapeaux par 50 à la fois. » Cet atroce réquisitoire, l’ancien pamphlétaire royaliste l’intitula : « L’Armée de Condé, Mémorial de la Trahison pour éclairer l’Annuaire de l’Armée sous la troisième République[1]. »

Monod, Viollet, Paul Meyer, Giry, d’autres encore protestèrent publiquement[2].

La discussion, la critique faisait tous les jours de nouveaux revisionnistes. Des violences, comme celles de Gohier et de ses émules, retinrent dans l’autre camp nombre de braves gens, convaincus que les défenseurs de Dreyfus en voulaient à l’armée, ou servirent de prétextes aux habiles[3]. L’un des maîtres de la critique contemporaine, qui avait élevé le bon sens vulgaire à la hauteur d’un principe souverain, Sarcey, fut effrayé, ou feignit de l’être, et se prononça, après avoir longtemps cherché à ménager les deux partis, contre la Revision. Il avait été dans le journal d’About le plus furieux des écrivains anticléricaux, un Veuillot laïque, un « mangeur de prêtres », et si acharné, parfois si grossier, qu’il irritait les vrais philosophes, les « tolérants ». Il en arriva dans sa peur épaisse jusqu’à prendre la défense du père Didon, à glorifier le dominicain pour son abominable discours en l’honneur de la force brutale et, lui aussi, à dénoncer les « littérateurs émasculés[4] ».

  1. L’étude de Gohier parut d’abord dans la Revue Blanche (1er juillet 1898), puis en brochure.
  2. Siècle du 3 et 6 juillet 1898.
  3. « Ce n’est pas le premier ni le dernier tort que nous feront certains journaux, leurs méchantes mains gâtent tout ce qu’elles touchent. » (Thiers à Gontaut-Biron, 28 janvier 1872.)
  4. Annales Politiques et Littéraires des 17 et 24 juillet 1898 : « Le père Didon a fait un discours magistral… Il a dit en beau