Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
148
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


et, quand Guesde, apeuré par l’hostilité de l’opinion[1] et jaloux de Jaurès, déserta le combat avec les marxistes, Clemenceau l’interpella durement. « Libre à la bourgeoisie politicienne et littéraire, disait le manifeste, de se diviser sur la culpabilité ou l’innocence d’un capitaine d’État-Major, et de s’entre-déchirer au nom de la patrie, du droit, de la justice et autres mots vides de sens tant que durera la société capitaliste. Les prolétaires, eux, n’ont rien à faire dans cette bataille qui n’est pas la leur[2]. » Clemenceau répliqua fortement : « Comment un chef socialiste a-t-il pu proférer cette parole sacrilège qu’il y a un combat de justice dont le socialisme n’est pas ? Le prolétaire ne peut se désintéresser de rien quand un droit d’humanité est en jeu[3]. »

Les nationalistes et les cléricaux firent fête à Guesde, en même temps qu’ils huaient Grimaux à Nantes, le poursuivaient à coups de pierres[4].

Un petit volume de Gohier fit beaucoup de mal. Ayant retrouvé dans les cadres de l’armée plus de mille noms d’officiers dont les ancêtres (ou les homonymes) avaient servi à Coblentz ou à Quiberon, il en publia la liste et, la commentant, professa avec sa rage froide que « les descendants de ces traîtres » ont conservé leurs

  1. « Par peur du péril électoral. » (Fournière, dans la Petite République du 30 juin 1903.)
  2. 28 juillet 1898, Manifeste du Conseil national des Travailleurs, publié par le Socialiste, organe des guesdistes.
  3. Aurore du 4 août 1898.
  4. Grimaux présidait à Nantes le Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences. Dès qu’il commença son discours, « sur la Chimie des infiniment petits », des huées l’interrompirent ; il fallut lever la séance (4 août 1898) ; il fut ensuite poursuivi dans la rue. La force armée dut intervenir, Grimaux avait retenu une chambre à l’hôtel ; l’aubergiste le logea dans une chambre au dessus du fourneau de la cuisine, au mois d’août. C’était une étuve. Il se réfugia chez le professeur Stéphane Leduc.