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CAVAIGNAC MINISTRE


coups ont continué à pleuvoir sur moi, sans trêve… Tout mon être est broyé par les supplices, la douleur m’étreint à la gorge et m’étouffe, mon cerveau s’hallucine… Je viens de recevoir les lettres de ma chère femme, de mes enfants ; encore une fois, je vous supplie de mettre un terme à ce martyre de tant d’êtres humains… Mes foires diminuent chaque jour ; je ne demande plus qu’une chose dans la vie, pouvoir descendre apaisé dans la tombe, sachant le nom de mes enfants lavé de cette horrible souillure.

Cette dernière prière (à Faure) était datée du 7 juin. Boisdeffre avait lu ceci :

Mon général, le cœur perdu, le cerveau en lambeaux, c’est vers vous que je viens encore jeter un nouveau cri de détresse, un cri d’appel plus déchirant que jamais… Oh ! mon général, dites-vous bien qu’il n’est pas une minute de ma vie, pas une seconde de mon existence qui ne soit une douleur, et que, si j’ai vécu ces minutes, ces secondes épouvantables, oh ! mon général, c’est que j’aurais voulu pouvoir mourir tranquille, apaisé, sachant le nom que portent mes enfants respecté. Aujourd’hui, mon général, ma situation est devenue trop atroce, les souffrances trop grandes, je chavire totalement… C’est avec tout mon cœur saignant et pantelant que je vous écris ces lignes, sûr que vous me comprendrez… Et je vous en supplie aussi, mon général, une bonne parole à ma pauvre femme, l’assurance d’une aide puissante et honorable[1].

Les dates de ces appels à la justice, à un peu de pitié, les rendaient plus poignants encore ; à chaque cri de l’infortuné correspondait un effort des hommes au pouvoir et des chefs militaires pour le repousser plus profondément dans son tombeau.

  1. Cass., III, 322 à 333, lettres à Félix Faure, du 8 juillet 1897 au 7 juin 1898 ; 679, lettre à Boisdeffre du 5 juillet 1897.