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CAVAIGNAC MINISTRE


mêmes souffert autrefois les vexations et les rigueurs. Ils les justifieraient, si cela était possible en les recommençant.

Certaines représailles furent puériles. Le conseil de l’Ordre de la Légion d’honneur prononça la suspension de Zola[1]. Davout et ses collègues militaires[2] eussent voulu le rayer ; les juristes[3] du Conseil firent valoir que l’arrêt de Versailles n’était pas définitif, puisqu’il avait été rendu par défaut, et que, dès lors, il y avait lieu seulement à une mesure temporaire. Sully-Prudhomme avait chanté magnifiquement la justice. On s’étonnait depuis longtemps de son silence. « La conscience tiraillée », surtout vieilli et malade, il n’osait se prononcer. Pourtant il prit la défense de Zola : « A-t-il été oui ou non indigné ? À tort ou à raison, peu importe. Or il y a incompatibilité essentielle entre l’indignation et la forfaiture à l’honneur, l’honneur étant le sentiment même de la dignité. » — Comme je m’étais pourvu contre le décret de Billot qui m’avait dépouillé de mon grade dans l’armée territoriale, la décision contre moi fut ajournée[4]. — Plusieurs légionnaires (Grimaux, Monod[5], Anatole France, Bouchor) décrochèrent eux-mêmes l’insigne que les mandarins de l’honneur officiel arrachaient à Zola et maintenaient à

  1. Séance du 25 juillet 1898.
  2. L’amiral Lefèvre, les généraux Detrie, Lebelin de Dionne et Laveuve.
  3. Forichon, premier président de la Cour d’appel ; Dislère et Jacquin, conseillers d’État. Les autres membres du Conseil étaient Sully-Prudhomme, le peintre Bonnat, Albert Decrais, ancien ambassadeur.
  4. Même séance. — Le décret prononçant la suspension du sieur Zola (Émile-Édouard-Charles-Antoine) fut signé le jour même par Félix Faure et Sarrien.
  5. Monod, à la suite de la publication des lettres de Combe par Judet, avait donné sa démission de membre de la commission des Archives de la Guerre.