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CAVAIGNAC MINISTRE


de s’en servir, il s’indigna, rappela qu’il était le fils d’un proscrit de Décembre, La franche brutalité d’un coup d’État lui eût fait horreur.

Que voulait-il ? La chose du monde la plus impossible et la plus absurde : se débarrasser des défenseurs du Droit par une comédie de légalité. Comme Brisson et ses collègues l’avaient suivi jusque-là, il se figurait qu’ils consentiraient à se faire une fois de plus ses complices, à lui livrer les meilleurs citoyens, les républicains les plus éprouvés.

Sauf pour lui, ce n’était un mystère pour personne que la majorité républicaine du Sénat avait subi Méline et Billot avec impatience, qu’elle était plus hostile encore aux ministres radicaux qui continuaient en l’exagérant leur politique, et que son long silence lui pesait. Il y avait encore au Palais du Luxembourg, dans tous les groupes de gauche, des républicains de la vieille école, que la terreur de la basse presse et de la canaille césarienne n’avait point domestiqués, qui s’étaient tus à grand tort, mais qui n’en pensaient pas moins. Pas un jour, jusqu’à l’heure où la maladie le cloua, Scheurer n’arrêta sa propagande dans les couloirs. L’idée de l’erreur judiciaire probable, presque certaine, avait fait, surtout dans les derniers mois, de grands progrès.

Même à droite, le doute pénétrait. Le vieux Buffet, jusqu’à la veille de sa mort[1], avait protesté contre la défaillance de son parti, la perversion morale de gens qui acceptaient, parce qu’il s’agissait d’un juif, que Mercier eût fait litière des garanties légales qui sont dues à tout accusé. Un ami personnel du duc d’Orléans, le comte de Blois, dit à Ranc et à Volland que toutes les

  1. Il mourut le 7 juillet 1898.